LĠespace : musique-philosophie, Paris, LĠHarmattan, 1998, XII+447 p.
Sous la direction de Jean-Marc Chouvel
et de Makis Solomos
ÒLe temps ici devient de l'espaceÓ.
Wagner, Parsifal.
ÒL'poque actuelle serait plutt l'poque de l'espaceÓ.
Michel Foucault, ÒDes espaces autresÓ.
En janvier 1997 se droulait un colloque intitul L'espace : musique-philosophie, organis conjointement par le Centre de Documentation de la Musique Contemporaine (CDMC, Paris) et le Groupe de Recherches en Potique Musicale (Universit de Paris IV-Sorbonne). Ce livre reprend les communications qui y ont t donnes ; il est en outre enrichi de quelques autres crits consacrs au sujet.
Le projet du colloque tait double. DĠune part, nous souhaitions runir des musiciens (musicologues, compositeurs, interprtes) et des philosophes pour dbattre dĠun thme certes musical, mais auquel la philosophie, par son questionnement propre [1] , pouvait apporter des clarifications. DĠautre part, le thme en question tait la fois dĠune extrme prcision et dĠune fluidit extraordinaire : il invitait par consquent un vritable dbat.
En effet, quĠest-ce-que lĠespace musical ? Depuis un certain nombre dĠannes, cette notion est entre dans le vocabulaire le plus commun ; on en parle dĠune manire de plus en plus insistante, notamment du fait de lĠvolution de la musique du XXme sicle [2] . Cependant, lĠheure actuelle, il est difficile de la circonscrire avec prcision. LĠespace (musical, mais aussi lĠespace tout court) est tout, il constitue la plnitude du son, il est bien plus quĠun simple cadre abstrait assimilable aux coordonnes cartsiennes ; mais il est aussi rien, synonyme du vide (et du silence) : entre ces deux dfinitions limites, se situent des acceptions intermdiaires multiples.
Parce quĠils transgressent les barrires entre ÒdisciplinesÓ tablies Ñ musique et philosophie, mais aussi musicologie/ethnomusicologie, musique instrumentale/lectroacoustique, etc. Ñ, les textes runis dans ce recueil accentuent cette polysmie et tmoignent, par leur grande diversit, de la fcondit des recherches autour de la notion d'espace musical. Le lecteur devra donc accepter lĠide quĠil existe plusieurs espces dĠespace et plusieurs manires de sÔinterroger sur lĠespace : ce volume pose des jalons pour des recherches futures en scrutant lĠespace dans plusieurs directions, parfois convergentes, parfois divergentes et, souvent, complmentaires.
Cependant, un certain nombre de directions y sont rcurrentes. CĠest pourquoi nous avons regroup les articles en huit sections. Il va de soi que le lecteur reste libre de consulter les textes dans un autre ordre, peut-tre alatoire, mais qui librerait sans doute les potentialits propres chaque contribution, invitablement quelque peu atrophies par la classification que nous leur imposons.
Une premire direction est constitue par la phnomnologie de lĠespace. Depuis les travaux de Roman Ingarden [3] , disciple de Husserl, la phnomnologie sĠest intresse la musique ; et, alors que Husserl lui-mme voquait la musique essentiellement pour tisser sa rflexion sur le temps [4] , elle a pu mettre en avant lĠexistence dĠune spatialit musicale. Dans ce volume, Natalie Depraz, se fondant sur Husserl et Merleau-Ponty, analyse la sensation sonore et la rtention, la conscience de lĠcoute et la spatialit immanente du son ainsi que la composante affective de lĠexprience sonore et la constitution passive de lĠespace. A propos de la spatialit immanente du son, elle pose la question suivante : ÒQuelle est donc cette spatialit purement analogique, cette quasi-spatialit du sonore qui nĠest pas un espace originaire, un espace rgi par les qualits primaires, visuelles et tactiles ?Ó. CĠest dans cette direction que travaille Yizhak Sada, qui se rfre aussi la phnomnologie, quoique chez lui ce terme soit synonyme dĠune approche empirique de la ÒperceptionÓ musicale. Son texte relve des cas o Ñ dans les cadres de la musique tonale Ñ il est question dĠune spatialit propre la musique, interne et non externe. LĠarticle de Maria Villela-Petit suggre prcisment que la dichotomie intriorit/extriorit ne renvoie pas, comme lĠont pens Kant ou Hegel, celle temps/espace Ñ qui, de ce fait, notamment pour ce dernier, tablissaient la chane musique-intriorit-temps. SĠappuyant sur Erwin Strauss, elle tente de relier la musique la ralit, lĠextriorit, lĠespace. Enfin, Francis Rousseaux et Frdric Pachet se rfrent la phnomnologie pour laborer un projet informatique : un logiciel interactif visant comprendre ce qui est en jeu dans lĠimprovisation musicale. Ce projet est dfini comme la recherche de lĠinteraction entre Òdeux espaces de complexit : dĠune part, la complexit dĠexpression du sens vcu de lĠimprovisateur et, dĠautre part, la complexit structurale du corrlt produit par lĠacte dĠimproviserÓ.
Une seconde direction, que nous qualifions ici de spatialisation de la musique, prsuppose une dfinition bergsonienne de lĠespace, qui oppose lĠoppose au temps ( la ÒdureÓ) selon les dichotomies homogne/htrogne, quantitatif/qualitatif ou rationnel/intuitif [5] . Elle a dj t creuse par Theodor W. Adorno, notamment dans certaines critiques quĠil a adresses la musique des annes 1950-60, critiques qui se rfraient la spatialisation de la nouvelle musique de lĠpoque comme synonyme de sa rationalisation [6] . Ici, Costin Cazaban se penche sur la pense dĠAdorno et dfinit lĠespace comme la possibilit pour les lments musicaux Òde rsister la diversification dont nat le temps musical, [la possibilit] de remonter le tempsÓ. Puis, il voque lĠopposition adornienne entre ÒÏuvre organiqueÓ et ÒÏuvre critiqueÓ. Jean-Pierre Armengaud, qui tudie lĠinterprtation de la musique, cherche temprer le foss entre musiques ÒtemporellesÓ (de lĠre tonale) et ÒspatialesÓ (du XXme sicle). Par ailleurs, il se rfre aux Ïuvres les plus rcentes, lesquelles Òont su rintroduire subrepticement le tempsÓ. Francis Courtot met en vidence une contradiction inhrente la musique dite ÒspectraleÓ : bien que ses ÒinventeursÓ se rfrent essentiellement au temps, ils finissent par engendrer une musique de lĠespace, cĠest--dire statique. CĠest pourquoi il propose de leur opposer la pense de Brian Ferneyhough. Dans le dernier texte de cette section, Pierre-Albert Castanet tudie la figure en quelque sorte emblmatique de la spatialisation de la musique prise au sens, on lĠaura compris, dĠune contestation radicale par la musique du XXme sicle de la belle linarit temporelle propre la musique classico-romantique : la figure de la spirale. Il analyse sa forte rcurrence dans le rpertoire musical contemporain selon plusieurs axes : comme Òornement esthtiqueÓ, comme Òprincipe dĠvolution constructifÓ ou comme Òsigne mtaphorique dĠun parcours dominante initiatiqueÓ.
Si lĠon peut opposer lĠespace au temps du fait de la non-linarit temporelle de la musique du XXme sicle, une longue tradition consiste les mettre en relation par la mdiation de la notion de reprsentation [7] : dĠo une troisime direction gnrale des recherches sur lĠespace. La section Espace et reprsentation sĠouvre sur une tude dĠAntonia Soulez du modle du Òclavier auditifÓ propos de Diderot et de Helmholtz. Chez ce dernier, lĠorganisme sensoriel est reprsent par un clavier (ce qui induit des mtaphores spatiales) selon une isomorphie entre lments de sensation et lments de lĠappareil nerveux, une isomorphie qui, prcise Soulez, pose problme. Jean-Marc Chouvel sĠintresse la reprsentation graphique de la musique au moyen dĠun concept emprunt la physique, ÒlĠespace des phasesÓ. Cette reprsentation offre plusieurs avantages : elle permet notamment de montrer la diffrence entre chelle (qui est par dfinition Òhors-tempsÓ) et mode (ancr dans le temps). Pascal Criton se sert aussi du concept dĠespace de phases pour reprsenter et synthtiser le son. Son texte accorde ainsi lĠespace une dfinition Ñ qui remonte Ivan Wyschnegradsky Ñ en quelque sorte abstraite, selon laquelle il nĠest pas lĠespace physique ou acoustique, mais Òun principal fondamental dĠorganisation, de composition, assignable au matriau sonoreÓ. Une telle dfinition vaut aussi pour certains aspects importants de lĠÏuvre de Iannis Xenakis quĠtudie Peter Hoffmann. Ce dernier nomme espaces ÒabstraitsÓ les modles gomtriques, logico-mathmatiques ou, plus simplement, graphiques utiliss par Xenakis ; il analyse plus particulirement leurs transformations Ònon-linairesÓ ainsi que leurs transformations ÒstochastiquesÓ. En rfrence la musique lectroacoustique, Horacio Vaggione postule de mme une dfinition abstraite, cĠest--dire mathmatique, de lĠespace, qui quivaut la reprsentation du matriau musical lĠaide dĠun ensemble corrl de dimensions. Il sĠintresse notamment des espaces ÒfractionnairesÓ (aux dimensions fractionnaires), sĠtalant sur diffrentes chelles du microscopique au macroscopique, et analyse les conditions de ÒcomposabilitÓ de lĠespace ainsi dfini. LĠtude de Michle Sinapi qui clt cette section nous loigne quelque peu de la direction qui vient dĠtre ouverte, puisquĠil y est question de la construction du logos politique chez Platon. Cependant, Sinapi se rfre une notion dĠespace qui reste ancre dans son rapport la reprsentation, car elle vise montrer que la construction en question apparat comme le dploiement ÒdĠun certain dispositif spatialÓ en rapport avec une thorie de lĠimage.
La prtendue ÒabstractionÓ de la musique du XXme sicle peut trs bien tre apprhende comme, au contraire, une volution vers le ÒconcretÓ. En effet, depuis Edgar Varse, puis la dcomposition ÒparamtriqueÓ des sriels et la resynthse xenakienne et ligetienne, la reprsentation du ÒmatriauÓ musical sous la forme dĠun espace n dimensions devient de plus en plus prcise. La catgorie du matriau tend tout englober (mme la forme) et sĠidentifie finalement au son lui-mme [8] . Cinq textes dans le prsent volume explorent cette nouvelle direction, qui traite des relations entre espace et son. Hugues Dufourt montre justement que cĠest sa gnration Ñ celle de la musique ÒspectraleÓ Ñ qui a gnralis lĠexpression Òespace sonoreÓ comme synonyme de la totalit sonore (et donc musicale, dans le cas de la musique spectrale). Car, ayant bnfici des acquis de lĠinformatique musicale, elle est parvenue une reprsentation quasi-exhaustive du phnomne sonore. Le texte de Frank Pecquet explore la mme direction. Pour Pecquet, lĠintgration de plus en plus pousse de lĠespace dans la pense musicale du XXme sicle signifie la recherche dĠune prise en charge totale du sonore. Roberto Casati et Jrme Dokic dveloppent une thorie du son qui rend mieux compte des rapports troits que celui-ci entretient avec lĠespace. A lĠencontre de la conception ÒphysicalisteÓ du son, leur thorie Ñ quĠils nomment Òthorie vnementielleÓÑ postule que les sons ne sont pas des ondes, quĠils Òsont des vnements intressant un corps sonoreÓ et quĠils Òne se dplacent pas de ce corps jusquĠ nousÓ. Avec Vita Gruodyt, nous revenons lĠanalyse de la musique rcente. Son texte analyse Òquelques configurations perceptives de lĠespaceÓ qui sont Ñ nous semble-t-il Ñ troitement apparentes la conception dĠune musique qui sĠidentifie au dploiement du son dans lĠespace. Enfin, Makis Solomos met en relation le phnomne de la spatialisation de la musique (au sens prcis ci-dessus) avec sa rationalisation. Puis, il propose dĠaccorder une valeur paradigmatique lĠexpression Òespace-sonÓ en tant quĠissue logique cette rationalisation qui, en mme temps, se dleste du pessimisme adornien.
Une cinquime direction des recherches sur lĠespace et la musique que propose ce volume nĠest pas neuve, bien que toujours aussi fertile : elle se sert de lĠespace comme mtaphore, des niveaux varis. Les auteurs runis ici utilisent principalement deux mtaphores. La premire renvoie sans doute la plus ancienne acception du mot ÒespaceÓ en rfrence la musique, une acception quĠon rencontre dj chez chez Aristoxne de Tarente [9] : ÒlĠespace tonalÓ (lĠespace des tons qui, dans ce sens, deviennent ÒhauteursÓ), qui induit les notions spatiales ÒdĠintervalleÓ (pour les relations entre les tons), de Òhaut/basÓ (pour aigu/grave), etc. On devrait se demander sĠil sĠagit rellement dĠune mtaphore : on pourrait, par exemple, prendre le mot mtaphore dans son sens tymologique (ÒtransportÓ), dĠorigine spatialeÉ Si lĠon se rfre Francis Bayer, auteur dĠun ouvrage fondamental sur ÒlĠespace sonoreÓ (dans le sens en question) dans la musique contemporaine, on rpondrait par la ngative [10] . Quant au prsent volume, le premier auteur de cette section, Michel Fischer, tend rpondre implicitement par lĠaffirmative. Dans son texte, il analyse quatre Ïuvres pour piano du XXme sicle (de Debussy, Ravel, Messiaen et Boucourechliev) et met en vidence certains symbolismes qui dcoulent dĠune utilisation particulire de lĠespace des hauteurs. Le second auteur, Alessandro Arbo, pencherait plutt Ñ nous semble-t-il Ñ vers une conception littrale du mot ÒespaceÓ appliqu aux tons musicaux. Son article se penche sur Condillac et, travers une problmatique sur lĠintervalle, pose la question de la Òtrace du sonÓ. Les quatre autres auteurs runis dans cette section utilisent le mot ÒespaceÓ dans une mme autre acception mtaphorique : ils se rfrent au vcu du compositeur. Christian Hauer tudie la trajectoire de Schnberg et distingue entre Òespace-schmeÓ (Òune structure achronique fondamentale susceptible dĠtre dcrite de manire abstraite et reprsentant un ensemble de relationsÓ) et Òespace-Ïuvre (qui concrtise un espace-schme). Son propos est de mettre en relation lĠespace-schme ÒlĠidentit narrativeÓ (concept emprunt Paul RicÏur) des Ïuvres de Schnberg. Mihu Iliescu se focalise sur Xenakis et tente de mettre en rapport ses ÒmassesÓ sonores avec Òcertains comportements caractristiques des foules humainesÓ, notamment par lĠintermdiaire de la pense dĠElias Canetti. Puis, il aborde de front la question de lĠventuel aspect totalitaire de ces masses, question laquelle il rpond dialectiquement, pourrions-nous dire. Apollinaire Anakessa Kulukula traite dĠun compositeur, Jean-Louis Florentz et dĠune Ïuvre, son Requiem, qui emprunte certains lments symboliques lĠAfrique noire. Dans son texte, il met en vidence ÒlĠorganisation spatialeÓ de ces lments. Nicolas Darbon oppose deux compositeurs, Wolfgang Rihm et Brian Feneyhough quant leur exploitation de lĠespace. Il dfinit lĠespace la fois comme ÒacoustiqueÓ, ÒgraphiqueÓ, ÒscniqueÓ, mais aussi ÒmnsiqueÓ et suggre un dplacement Òde lĠancienne dialectique naturalisme/symbolisme, ralit/dralit vers un binme rel/virtuel dfinirÓ. Le texte final dĠEero Tarasti prte la notion dĠespace le sens de ÒsituationÓ. Il labore une Òsmiotique existentielleÓ qui serait mme de dcrypter, pour chaque compositeur, la rcurrence de situations particulires, quĠil propose dĠanalyser avec les outils de la logique labore par Georg Henrik v. Wright.
La section Espace et lieu propose au lecteur une sixime direction pour explorer la notion dĠespace musical. Il nĠest gure besoin de nous tendre sur la dfinition de lĠespace qui y est prsuppose : il sĠagit de lĠespace concret, de la scne ou salle de concert, de lĠespace architectural qui abrite (ou nĠabrite pas, comme dans les concerts en plein-air) la musique. Le lecteur regrettera peut-tre ici lĠabsence de textes voquant les relations entre musique et architecture [11] ou analysant des musiques de lĠaprs 1945 crites pour (ou troitement lies ) un lieu particulier (Hymnen de Karlheinz Stockhausen, la Lgende dĠEer de Iannis Xenakis, Quodlibet dĠEmmanuel Nunes, pour nĠen citer que trois) ou encore, traitant du nouvel art des Òinstallations sonoresÓ [12] . Cependant, les trois auteurs de cette section abordent des sujets originaux. Franois Picard tmoigne de ses enregistrements de musiques chinoises, qui posent sans cesse le problme de la disposition spatiale des musiciens. Par ailleurs, il voque le concept chinois dĠespace travers la Òmtaphore de lĠinternodeÓ. Leigh Landy dcrit certaines de ses expriences avec son ensemble de ÒperformancesÓ (au sens anglais du terme), qui sont troitement lies aux lieux dans lesquels elles se droulent. Son texte prne aussi une ouverture de la cration aux amateurs. Patrice Hamel sĠintresse aux relations entre la musique et la scnographie. Refusant un rapport dĠillustration ou de fusion, il recherche leur Òautonomie articuleÓ, cĠest--dire leur assemblage par rapport des aspects prcis, lesquels sont en dfinitive de nature spatiale.
Avec la section Spatialisation du son et dlocalisation, nous entrons dans un domaine en quelque sorte oppos au prcdent. LĠespace est nouveau celui physique, mais il est question de musiques qui, parce quĠelles explorent la mise en mouvement du son Ñ au moyen du haut-parleur dans la musique lectroacoustique ou par des trajectoires calcules dĠun instrument un autre dans le cas de la musique instrumentale Ñ, convergent vers sa dlocalisation. Les ralisations en la matire sont innombrables et souvent bien connues [13] . CĠest pourquoi Jean-Yves Bosseur, qui introduit cette section, tout en mentionnant les pionniers du XXme sicle (Varse, Stockhausen, Xenakis, etc.), sĠintresse aussi des artistes dont la rputation est moins affirme (Marian Zazeela, Llorenc Barber, Dorothe Selz, Jacques Serrano, etc.). Par ailleurs, il sĠinterroge sur la viabilit des frontires entre arts (notamment musique et arts plastiques), qui sont remises en question par la transgression de la dualit temps/espace. Flo Menezes prsente une analyse prcise des grandes oppositions quant la conception de la spatialisation du son dans la musique lectroacoustique. Aprs le clivage historique musique concrte/lectronique (la premire spatialise le son aprs la composition, alors que la seconde intgre la spatialisation dans la bande), il mentionne le cas des musiques interactives (instruments-lectronique) et conclut sur une quatrime attitude, de nature ÒsyncrtiqueÓ. Franois Bayle aborde de front la question de la dlocalisation, inhrente toute musique lectroacoustique. Il dfinit aussi des catgories spatiales et suggre de travailler sur les ÒdfautsÓ de lĠespace : Òpiges, trous et bosses, formes et reflets, illustrent ce que jĠai dsign comme les "dfauts" de lĠespace, celui des sons comme de lĠauditionÓ, crit-il. La table-ronde qui suit (avec Franois Bayle, Eric Daubresse, Pierre-Alain Jaffrennou, Franois Nicolas, Jean-Claude Risset et Makis Solomos) aborde un grand nombre de sujets propos de lĠespace en lectroacoustique : la notion ÒdĠimage-de-sonÓ, les diffrences entre lĠespace virtuel et lĠespace rel, la question de ÒlĠabsenceÓ (lie la dlocalisation), lĠcriture de lĠespace, entre autres. Enfin, en dnouant les deux expressions (spatialisation et dlocalisation) qui tissent la trame de cette section, Franois Noudelmann souligne lĠambigut du statut de lĠespace dans la musique du XXme. Parce quĠelle vise une matrise de ÒlĠtendueÓ, la spatialisation du son a un ct totalitaire, estime-t-il ; par contre, la dlocalisation Ñ que Noudelmann apprhende par une tude (fonde sur Sartre et sur Merleau-Ponty) de la place de la conscience et de la corporit de lĠespace Ñ aboutit un espace conu comme ÒespacementÓ, ÒdrouteÓ ou ÒdliementÓ.
La direction des recherches sur lĠespace indique par les textes prcdents montre combien il est facile de passer dĠun extrme lĠautre, de lĠune lĠautre des dfinitions limites de lĠespace que nous mentionnions au dbut de cette introduction : en ÒimmergeantÓ lĠauditeur dans le son, la spatialisation convoque un espace sans ÒfaillesÓ, ÒtrousÓ ou ÒdchiruresÓ et renvoie aisment au fameux sentiment ÒocaniqueÓ Ñ tant contest par Freud [14] Ñ que berce lĠillusion dĠune totalit aimable, dĠune prsence intgrale ; simultanment, cette mme spatialisation, en dlocalisant le son, nous conduit irrsistiblement vers lĠabsence, en quelque sorte le vide, le silence. Cette dernire direction est explore dans la section ultime de ce recueil, Espace et intriorit. Carmen Pardo, partant de Platon, propose un itinraire travers trois moments philosophico-musicaux qui tablissent un rapport entre le penser et lĠcoute de la musique, par le biais de la notion dĠespace. Elle tente ainsi de circonscrire une musique qui ouvrirait Òson propre espaceÓ, celui dĠun espace en mouvement et conclut : ÒOn pourrait alors affirmer que rflchir sur la musique nĠest pas une mtaphore pour la pense, que lĠcoute du sonore peut devenir une invitation entendre aussi lĠcoute de la pense, faire attention cette mlodie silencieuseÓ. Pour Franois Makowski, qui se fonde sur la phnomnologie et sur Heidegger, ÒlĠespace cĠest ce qui reste quand il ne reste plus rien, ce qui reste quand il manque tout, quand tout fait dfautÓ. Par ailleurs, Makowski tente dĠappliquer les distinctions entre tendue, lieu et espace la musique. Ivanka Stoianova examine les liens troits, chez Luigi Nono, entre espace et silence : lĠun comme lĠautre valent comme ouverture lĠAutre. Son texte apprhende lĠespace chez Nono plusieurs niveaux : la spatialisation de la matire sonore, celle du texte potique dans certaines Ïuvres et enfin lĠespace intertextuel.
Le tout dernier crit renvoie le lecteur la couverture de ce recueil : Dborah Blocker analyse le travail du peintre Francis Brun qui nous a gracieusement autoris reproduire ses dessins. Par ailleurs, nous tenons remercier Marianne Lyon et Katherine Veyne (CDMC) ainsi que Jean-Yves Bosseur (Universit Paris IV-Sorbonne), sans lĠappui et lĠaide desquels le colloque, qui se trouve lĠorigine de ce volume, nĠaurait pas pu avoir lieu. Hugues Genevois (Direction de la Musique et de la Danse, Ministre de la Culture) nous a permis de trouver les financements ncessaires pour sa ralisation. Enfin, Pierre-Albert Castanet, Nicolas Darbon, Mihu Iliescu, Franois Noudelmann, Franois Picard, Michle Sinapi et Franois Nicolas, outre leur contribution originale ce livre, ont bien voulu relire avec nous les preuves : nous les en remercions vivement.
Makis Solomos
Pour commander
ce livre :
[1] Notons que la problmatique philosophique sur lĠespace a bnfici dĠun regain dĠintrt rcent. Parmi les publications immdiatement antrieures ce colloque : Le temps et l'espace, Paris, Ousia, 1992 ; revue Epokh nĦ4, 1994 ; revue Les Cahiers philosophiques de Strasbourg nĦ1, 1994.
[2] Les crits sur lĠespace en musique (le plus souvent en rfrence la musique du XXme sicle) forment dj un corpus imposant : nous renvoyons aux innombrables rfrences bibliographiques des textes runis dans ce volume.
[3] Cf. Ingarden (Roman), QuĠest-ce quĠune Ïuvre musicale ?, trad. D. Smoje, Paris, Christian Bourgois, 1989. La premire rdaction de lĠoriginal allemand date de 1928.
[4] Cf. Husserl (Edmund), Leons pour une phnomnologie de la conscience intime du temps, trad. H. Dussort, Paris, P.U.F., 1964, ¤3ss.
[5] Cf. Bergson (Henri), Essai sur les donnes immdiates de la conscience, Paris, P.U.F., rd. 1993, passim.
[6] Cf. Adorno (Theodor W.), ÒMusique et nouvelle musiqueÓ (confrence de 1960), dans Quasi una fantasia, trad. J.-L. Leleu, Paris, Gallimard, 1982, pp.280-281.
[7] Dans le sens le plus direct du mot ÒreprsentationÓ, on pensera bien entendu lĠinvention de la notation musicale occidentale qui met en relation lĠÒespaceÓ tonal (des hauteurs) avec le droulement temporel.
[8] Il est dĠailleurs noter que la notion de ÒmatriauÓ (anciennement : ÒmatrielÓ), bien que non rcente Ñ on la rencontre dj au VIIme sicle, chez Isidore de Sville par exemple : cf. Duchez (Elisabeth), ÒLĠvolution scientifique de la notion de matriau musicalÓ, dans Barrire (Jean-Baptiste) (d.), Le timbre. Mtaphore pour la composition, Paris, Christian Bourgois, 1991, p.48 Ñ a surtout t exploite partir des annes 1930, notamment avec Theodor W. Adorno et son dbat avec Ernst Krenek (cf. paddison (Max), AdornoĠs Aesthetics of Music, Cambridge, Cambridge University Press, 1993, chap.2).
[9] Dans ses Armonika Stoiceia. Cf. Blis (Annie), Aristoxne de Tarente et Aristote : le Trait dĠharmonique, Paris, Klincksieck, 1986, notamment le chapitre ÒLĠespace sonoreÓ.
[10] Cf. Bayer (Francis), De Schnberg Cage. Essai sur la notion d'espase sonore dans la musique contemporaine, Paris, Klincksieck, 1981, introduction.
[11] Pour une synthse de ces relations, cf. Forsyth (Michael), Architecture et musique. L'architecte, le musicien et l'auditeur du XVIIme sicle nos jours, Lige, Mardaga, 1987.
[12] Parmi les crits les plus rcents sur les installations sonores, nous renvoyons szendy (Peter), ÒInstallations sonores ?Ó, Rsonances nĦ12, 1997.
[13] Toute histoire rcente de la musique du XXme sicle comprend, en rgle gnrale, un chapitre sur ces ralisations.